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25 août 1944. Le massacre de Maillé
Le commun des mortels
#01 1939-1944 en Touraine

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Le 3 septembre 1939, Maillé, paisible village de Touraine aux 480 âmes, non loin de Loches et de Sainte-Maure de Touraine, se lève aux chants des coqs. La micheline du Paris-Bordeaux siffle sur les rails qui traversent le bourg. Quelques automobiles circulent sur la Route Nationale 10. Les trois cafés, les trois épiceries ouvrent leur porte. Le maréchal-ferrant pousse les volets de son atelier. Dans les fermes aux alentours, comme ici, l’inquiétude est grande.

Le 3 septembre 1939, Le Matin titre : «Le Parlement unanime aux côtés de M. Daladier», «La Chambre a voté 69 milliards de crédits pour la défense nationale», «L’aviation allemande multiplie ses bombardements sur les villes polonaises »… Mais on veut croire en des jours meilleurs, croire que la guerre ne viendra jamais jusque-là.

Le 3 septembre 1939, Maillé, paisible commune de Touraine, voit ses soixante-dix enfants courir dans les rues. La rentrée, c’est en octobre. Ils sont insouciants. Les ouvriers agricoles rejoignent les fermes. Parmi eux, des républicains espagnols, parmi eux peut-être des rescapés de Guernica, parmi eux, sans doute, des plus jamais ça.

Le 3 septembre 1939, la journée s’écoule entre les travaux aux champs, les discussions au comptoir et les rires des enfants.

Le 3 septembre 1939, il est 17h00, par la voix de son président George Daladier, la France déclare la guerre à l’Allemagne : «  Je sais bien qu’on vous parle aujourd’hui de paix, de la paix allemande, d’une paix qui ne ferait que consacrer les conquêtes de la ruse ou de la violence et n’empêcherait nullement d’en préparer de nouvelles.»

Le 3 septembre 1939, à Maillé, paisible village de Touraine aux 480 âmes, on sait que le bourg se videra bientôt de ses hommes et se remplira d’une inquiétude quotidienne, on sait quels labeurs attendent les femmes, la grande Guerre est si proche, et on a tant voulu oublier la Der des Ders…

Le 3 septembre 1939, elle revient à grands pas.

A QUELQUES HEURES DE LA ZONE LIBRE

Il faut croire que jamais une république ne s’organise aussi vite que lorsqu’elle est en danger. Très vite, les enfants regardent incrédules les affiches fleurir les rues… Mobilisation. Que veut dire ce mot ? Sans doute que mon père partira loin pour travailler, mais qu’il ne faut pas s’inquiéter, il reviendra bientôt…

Et les hommes partent, à tour de rôle, enrôlés, la fleur au fusil, mais la peur au ventre. On veut croire encore… La drôle de guerre s’installe et la vie de Maillé, jusque mai 1940, tenue à bout de bras par les femmes et les trop jeunes hommes et les trop anciens, est rythmée par le retour des hommes en forme et en uniforme, certains démobilisés, d’autres en permission.

Le 10 mai 1940, Hitler décide de lancer l’offensive. Les troupes allemandes entrent aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg et en France.

Maillé, traversé par la ligne de chemin de fer Paris-Bordeaux et la RN10 qui suit, peu ou prou, le même tracé, voit alors le spectacle de milliers de réfugiés venant du nord et fuyant les combats, au rythme des mauvaises nouvelles annoncées par la radio du café Métais.

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Le 14 juin, Paris tombe. Quelques jours auparavant, du 10 au 13, Tours fut la capitale de la République, avant que le gouvernement ne la quitte pour Bordeaux, puis Vichy. Du 20 au 22 juin, Tours est bombardée, et une partie du centre-ville détruite par un terrible incendie. Tours tombe aux mains des Allemands.

Le 21 juin, à Nouâtre, à 3 kilomètres de Maillé, les premiers échanges de tirs se font entendre. Une troupe de tirailleurs marocains tente d’empêcher les Allemands de franchir la Vienne. « A 14 heures 30, les éléments avancés allemands, arrivant par la route de Sainte-Maure, passent devant l’école. Il y a trois auto-mitrailleuses blindées, deux side-cars, une motocyclette portant deux hommes. (…) Les autos blindées sont arrivées en vue du pont et ont été reconnues par nos tirailleurs. (…) Le feu est ouvert immédiatement et l’on entend le crépitement des mitrailleuses. Les écoliers fuient vers Marcilly et s’abritent à la ferme de la Motte. » (1)

Les Allemands sont repoussés quelques heures. « En passant devant la maison de Mme Saulquin, épicière, le mitrailleur allemand aperçut quelqu’un à la lucarne du grenier. Cette maison étant située auprès de la Vienne, non loin du pont, il est possible qu’il ait cru que des soldats français y étaient postés. Il tira et tua le jeune André Saulquin, 17 ans. » (1)

Le même jour encore, les Allemands entrent à Maillé. Le lendemain, le 22 juin, le gouvernement Pétain signe l’armistice. La ligne de démarcation est alors dessinée. Maillé est du mauvais côté, à quelques heures près, à quelques kilomètres seulement de cette zone dite « libre ».

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LES ETRANGES ETRANGERS

Eté 1940 à Maillé, les premières pénuries se font sentir, on a nourri de bon cœur les réfugiés, et les Allemands, eux, se sont allègrement servis dans les fermes. Des champs entiers ont été pillés. Les stocks de nourriture sont presque épuisés. La guerre est là. Elle est bien là.

Et dans la région de ce petit village, ce sont près de 300 Allemands qui vont s’installer. Une grande concentration qui s’explique par la présence du camp militaire de Nouâtre, la proximité de la RN10, de la ligne Paris-Bordeaux et de la ligne de démarcation.

Les soldats d’occupation s’invitent chez les habitants de Maillé : trois officiers, dix-sept sous-officiers, cent trente-trois soldats, et même cent soixante-neuf chevaux… Si des baraquements poussent en plein cœur du bourg, les gradés vivent chez l’habitant.

Un « drôle » de quotidien s’installe. Mais on est fait de ce bois que l’on s’habitue à tout. Que l’on s’adapte à tout. Les soldats allemands ne se montrent pas agressifs, au contraire plutôt insouciants. Ils pensent que la guerre est bientôt finie. Entre chaque repas gargantuesques, on les voit se baigner dans la Vienne.

Juin 1941, Hitler décide d’envahir l’Union Soviétique, les troupes allemandes sont alors redéployées dans l’est de l’Europe. Maillé voit ses occupants partir les uns après les autres, et jusque juillet 1943, seuls quelques soldats d’occupation y stationneront. Au quotidien, ils sont rejoints dans les cafés par d’autres militaires du camp de Nouâtre.

La vie de la population aux côtés des soldats se passe sans trop de heurts. On en oublierait presque la guerre sans la lourde, trop lourde absence des hommes. Sans les premiers bombardements des forces alliées qui débutent en août 1942 dans la région. Sans les actions de la résistance locale qui se multiplieront à l’approche de l’année 1944.

Le 29 décembre 1940, sur la commune de Maillé, des câbles téléphoniques sont sabotés et cinq affiches seront posées dans le bourg menaçant de représailles en cas de récidive. La guerre est là, elle est bien là. Et l’armée des ombres, avec l’un de ses chefs de file l’abbé Henri Péan, n’a jamais baissé les armes.

A suivre  Péan le fou. #02
Précédemment
 
124. In Memoriam. #Prélude

Texte et photographies : Donatien Leroy, Battements de Loire

Sources 
(1) Souvenirs sur Nouâtre durant la guerre et l’occupation, 1940-1945, Marie-Louise Delalande, institutrice à Nouâtre
25 août 1944, Maillé… Sébastien Chevreau, Ed. Anovi, 2012.
Maillé Martyr, Abbé André Payon, édité par la Maison du Souvenir de Maillé, 2007
Disponibles à la Maison du Souvenir de Maillé.

 

25 août 1944. Le massacre de Maillé
124. In memoriam
#Prélude

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Le 25 août 1944, 124 hommes, femmes et enfants sont massacrés par les troupes allemandes en quelques heures. Toutes les victimes résidaient à Maillé, village de Touraine, à quelques dizaines de kilomètres au sud de Tours.

Le récit de ce drame commencera en 1939, pour prendre le temps de vous raconter cette guerre en Indre-et-Loire, vous raconter la résistance aussi, parce que ce temps permettra d’expliquer, non pas pourquoi, mais comment Maillé a pu se retrouver au cœur de cette tragédie.

Je tiens à remercier les chaleureuses personnes qui m’ont accueilli à la Maison du Souvenir de Maillé. Et à la découverte de ce petit musée, j’ai éprouvé la même intense émotion qu’en parcourant le petit musée de Guernica ou le terrible hangar de Srebrenica. Si petit et si grand. Je vous invite à le découvrir.

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AUDEVARD François, 41 ans
AUGER Paul, 60 ans
AUGER Eugénie, 58 ans
BARRÉ Achille, 38 ans
BECK Germaine, 14 ans
BECK Jean Marie, 8 ans
BECK Jacques-Michel, 1 an
BLANCHARD Yvonne, 18 ans
BOURGUIGNON Louis, 74 ans
BOURGUIGNON Marie-Louise, 68 ans
BRION Marie Désirée, 61 ans
BRUNEAU Magdeleine, 89 ans
BRUNET Suzanne, 29 ans
BRUNET Marcel, 6 ans
BRUNET Yolande 5 ans
BRUNET Jacques, 8 mois
BRUZEAU Marie, 30 ans
CHAMPIGNY Roberte 37 ans
CHAMPIGNY Jacques 10 ans
CHAMPIGNY Jean 4 ans
CHAMPIGNY Marie 73 ans
CHARPENTIER Andrée 35 ans
CHARPENTIER Pierre 10 ans
CHARPENTIER Lucien 1 an
CHARRET Michel, 1 an
CHARRET Nadine, 10 ans
CHARRET Jeanne 32 ans
CHEDOZEAU Henri 53 ans
CHEIPPE Julien 45 ans
CHEVALIER Charles 83 ans
CHEVALIER Véronique 79 ans
CHEVILLARD André 19 ans
CONFOLENT Claude 11 ans
CONFOLENT Jean Louis 12 ans
CONFOLENT Hélène 14 ans
CONFOLENT René 17 ans
CONFOLENT Yves 19 ans
CONFOLENT Jehanne 20 ans
CONFOLENT Pierre Joseph, 22 ans
CONFOLENT Maria 46 ans
COULOMBEAU Henri 64 ans
COULOMBEAU Joséphine 58 ans
CREUSON Charles 68 ans
CREUSON Jeanne 67 ans
CREUSON Germaine 37 ans
CREUSON Monique 15 mois
CREUSON Gérard 4 ans
CREUZON Paulette 14 ans
CREUZON Théodore 43 ans
CREUZON Fernand 18 ans
CREUSON Pierrette 10 ans
DIDELIN André 39 ans
DIDELIN Jeanne 38 ans
DIDELIN Jeannine 18 ans
DIDELIN Andrée 11 ans
DIDELIN Jacques 10 ans
DIDELIN Michel 7 ans
FIALTON Valérie 60 ans
FIALTON Gérard 12 ans
FOURNIER Jean 6 ans
GABILLOT Renée 45 ans
GABILLOT Victor 51 ans
GAMBIER Marie 84 ans
GLAIS Auguste 36 ans
GOUARD Ernest 43 ans
GOUARD René 3 ans
GOUARD Camille 11 ans
GOUARD Renée 37 ans
GRANET Pierre 56 ans
GUÉRIN Henri 51 ans
GUERRIER Jeanne 31 ans
GUERRIER Michel 3 ans
GUILLOCHON Alexandre 42 ans
GUILLOCHON Renée 37 ans
GUILLOCHON Eliane 10 ans
GUITON Colette 26 ans
GUITON Eliane 6 ans
GUITON Gérard 4 ans
GUITON Charles 80 ans
GUITON Robert 28 ans
GUITON Marie 26 ans
GUITON Arlette 4 ans
GUITON Yvette 6 ans
GUITON Jackie 2 ans
GUITON Charles 47 ans
GUITTON Anne 78 ans
GUITTON Germaine 38 ans
GUITTON Jacqueline Simone 6 ans
HINDERSCHEID Joséphine 46 ans
HINDERSCHEID Gisèle 11 ans
JAMIN René 36 ans
LERASLES Henriette 32 ans
LERASLES Claude 10 ans
MARTIGUE Pierre 43 ans
MARTIN René 34 ans
MARTIN Renée 29 ans
MARTIN Raymond 9 ans
MARTIN Josiane 4 ans
MARTIN Danielle 6 mois
MÉNANTEAU Marguerite 32 ans
MÉNANTEAU Huguette 15 ans
MÉNANTEAU Cyrille 12 ans
MÉNANTEAU Edgard 6 ans
MÉNANTEAU Mireille 2 ans
MÉNANTEAU Hubert 3 mois
MÉTAIS Jules 31 ans
MÉTAIS Simone 24 ans
MÉTAIS Jacquie 6 ans
MÉTAIS Janine 4 ans
MÉTAIS Justine 59 ans
MEUNIER Annie 4 ans
MEUNIER Jean Edouard 2 ans w
MILLORY Jean 14 ans
MILLORY Paul 45 ans
PÉROUZE Monique 4 ans
RICOTTIER Ernestine 44 ans
SONDAG Joseph 23 ans
SORNIN Baptiste 43 ans
TARD Louise 75 ans
TARTRE Armand 51 ans
TARTRE Justine 71 ans
THERMEAU Auguste 42 ans
VINCENT Joseph 77 ans
VINCENT Désirée 70 ans

 

A suivre Le commun des mortels #01 1939-1944

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Maison du Souvenir de Maillé
www.maisondusouvenir.fr
1 rue de la Paix
37800 Maillé
tel : +33 (0)2 47 65 24 89

La Maison du Souvenir est ouverte toute l’année y compris les jours fériés (sauf 25 décembre et 1er janvier) :
– du mercredi au samedi de 10h30 à 13h00 et de 14h00 à 18h00,
– dimanche et lundi de 14h00 à 18h00 (ou sur RDV selon disponibilité et avec possibilité en dehors des heures d’ouverture pour les groupes).

Expositions permanente et temporaires en français
Audioguides gratuits (Français, Anglais, Allemand).
Film de témoignages en français ou sous-titré en Anglais et en Allemand.

Photographies : Donatien Leroy, Battements de Loire
Prises de vue à la Maison du Souvenir de Maillé, ainsi qu’au cimetière du village.