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INFLUENCES > LETTRES D’A
« ou tue-moi proprement sur ton plan de travail »
Ep#02 L’amour écorché, par Caroline Vieuille

« Il s’agit d’une traversée personnelle, dans laquelle une « écorchée vive » a cherché comment se raccrocher au reste du monde après une série de claques distribuées par la vie,  la santé, puis l’amour, en mettant des mots sur des états intérieurs, des doutes,  des colères, du chagrin. Mettre des mots m’a aidé, d’ailleurs les mots ont poussé sans efforts.
Le temps se déroule à l’envers, les premiers textes datant de 2015.
Ce que j’aimerais, c’est que ces textes puissent donner envie à des musiciens d’être mis en musique et chantés. »
Caroline Vieuille

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En chantier
Tu tournes en rond dans ton atelier carré
Brasses la poussière, cherches l’air
Bon sang de bois, mais pourquoi
Ce chantier n’avance t-il pas ?
Pas plus que le désir, il ne veut finir

Sang-mêlé
Bientôt 800 kilomètres entre toi et moi
Tu n’entends plus les cris de mon bonheur déchiré
800 kilomètres plus tard, dans moi, il y a encore toi.
Ton amour pour moi effrité par l’amour d’une autre
L’équilibre que nous avions trouvé me manque à jamais
Renvoyée aux tréfonds de l’être
Je m’enfouis, me cherche,
Je me perds, me disperse
Il y a tellement longtemps que ma vie est un tel mélange de toi et moi
Nos vies et nos sangs sont mêlés

Miroir mental
La semaine impaire, tu la voudrais tellement
Mais elle n’y est pas
La semaine paire, je voudrais tellement être près de toi
Mais tu n’y es pas

Respiration
tu as rompu, j’ai respiré
mais tu tournais en rond et en carré
tantôt tu es absent, tantôt tu es là
tu ne veux pas la quitter
je me noie dans l’impuissance

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Les vagues
Je suis tombée
tu t’es mis de mon côté
tu me serrais si fort, dans ce noir absolu,
Je n’ai pas eu de temps, ton temps ne pouvait pas être le mien,
je n’étais pas prévenue, pas préparée à cette violence-là
tu étais à la fois à l’origine des vagues de douleur et celui par lequel elle se calme,
avant de gonfler avec les marées, comme les rouleaux sur le sable de l’Ile de Ré
Tu as perdu patience
tu es reparti vers elle

Donne-moi
Donne-moi du beau, du chaud, du soleil, du sel, du vin, tes mains, ta bouche, une fleur, serre-moi, caresse-moi, enfonce-toi dans moi pour toujours. Ou tue-moi proprement sur ton plan de travail de menuisier.

Nous
Dans ce monde en plein suicide
Nous étions deux amoureux par évidence
Par toi j’avais retrouvé le goût de sourire et tant de rires
tu m’avais acceptée comme j’étais
hybride d’Orient et d’Occident
un mélange, un fouillis sauvage et dissocié
une femme qui a refusé les armes de la séduction érotique
une femme en bottes de cow-boy gagnant sa vie avec un travail d’homme
entre la force et la fragilité
toi, le seul homme qui ait eu accès à cette intimité-là
Toi qui avait tant de facilités avec les mots et les autres
en marchant avec toi, j’ai fait tout ce chemin des mots que je pose aujourd’hui
comme des pas de libellule qui s’articulent.

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Papillon
Née de l’union des hommes et des bombes.
Elle recolle inlassablement des morceaux de vies désintégrées.
Elle ramène à elle les instants qui s’envolent pour en faire une durée.
Pour résister, jusqu’à la prochaine explosion du temps.

Errer dans un décor de fragments d’êtres et de corps.
Elle aime un papillon éparpillé,
Qui lui fait cadeau de son absence,
Pour des fleurs à butiner.

Attiré par une fleur vénéneuse,
Il a perdu le sens magnétique,
Dissocie les lettres,
Passe de l’être au paraître,
Construit des personnages et des décors.

Fragilité de l’identité métissée.
« vos papiers !
Quelle terre habiter ?
Celle des kapos et des « ausweis » s’étend.

Préserver l’unité intérieure.
Plantes et bêtes ont des liens,
Mais pas les hommes modernes,
Depuis qu’on les oblige à se penser détachés,
Tout juste reliés à une virtualité.

Nomade
L’envers du voyage : arriver dans un pays et devoir en partir
Vivre en s’attachant aux autres
Entendre parler de bateau ou d’avion
Se voir imposer tous ces départs non désirés
Pleurer, mordre l’oreiller, casser ses jouets, se réfugier en haut de l’arbre
Rager dans l’impuissance
L’avion décollera à l’heure, arrachant l’enfant de ce sol là
Les adultes
Mourir de tristesse dans un avion, puis un autre
Une partie de ma vie fut la répétition de cette déchirure : perdre les êtres que j’aime

Texte : Caroline Vieuille
Photographies : Donatien Leroy

INFLUENCES > LETTRES D’A
« ici, seuls les arbres n’ont pas changé de place »
Ep#01 L’amour écorché, par Caroline Vieuille

« Il s’agit d’une traversée personnelle, dans laquelle une « écorchée vive » a cherché comment se raccrocher au reste du monde après une série de claques distribuées par la vie,  la santé, puis l’amour, en mettant des mots sur des états intérieurs, des doutes,  des colères, du chagrin. Mettre des mots m’a aidé, d’ailleurs les mots ont poussé sans efforts.
Le temps se déroule à l’envers, les premiers textes datant de 2015.
Ce que j’aimerais, c’est que ces textes puissent donner envie à des musiciens d’être mis en musique et chantés. »
Caroline Vieuille

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Légèreté
Elle a toujours senti la présence de cette fulgurance
Un petit animal sauvage qu’elle projette sur la terre, le soleil, la lune, les étoiles, les animaux et dans tout ce qu’elle entreprend
Il ressemble à un désir d’éternité
Elle aime les êtres dans la durée
Elle est entière
Là où chacun s’arrête, se met à l’abri, prend la fuite, par peur de se faire mal, elle avance jusqu’à la collision
La vie, elle la voudrait avec des reliefs solides, de bois et de pierre
On pourrait s’y mouvoir avec légèreté du fait que l’on y trouverait des appuis
On pourrait s’y épanouir tout au long du temps que nous avons à vivre
Le mouvement n’y serait plus une succession d’instants troués
Le mouvement nous porterait comme une musique porte un corps dansé

Trois saisons
L’automne m’a séparé de toi
J’ai posé l’empreinte de mes pas sur les tapis de feuilles mortes
L’hiver a déposé ses flocons
J’ai chauffé le terrier pour survivre à ton absence
Le printemps a développé ses bourgeons
La sève de la vie repeint les arbres en vert tendre
Les abeilles ont essaimé
Personne ne les a récupérées
Mais un jour, nous nous retrouverons
De quoi se compose une conviction ?

Deux
Sais-tu pourquoi c’est si compliqué d’être deux ?
Parce qu’en réalité, on est 6 !
Il y a toi, il y a moi, il y a l’image que tu as de toi, il y a l’image que j’ai de moi, il y a l’image que tu as de moi et l’image que j’ai de toi.

Débordements
Injecter du positif dans la faille de l’amour suspendu
c’est ça la piste, je l’aperçois maintenant,
malgré tous ces moments où les larmes submergent les rives,
où la rivière intérieure devient une crue de désespoir.

Accord perdu
Larmes coulées, larmes retenues à corps perdu,
se saisir à bras-le-corps, se battre corps-à-corps, ramener le corps au cerveau, d’accord ?
garder les pieds sur terre, trouver son centre dans ce décor en mouvement,
chercher l’équilibre, encore et encore.
Que d’efforts pour parvenir à prendre soin de soi.

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Espoir
les êtres amputés du partage amoureux
marchent en solitaire sur cette terre dévastée
à la recherche de quelques bourgeons multicolores
dans le vide de leur vie déracinée
ils plantent des fleurs et des arbres
dans le temps passé, celui que personne ne pourra leur arracher
ils puisent la sève qui les nourrit
jusqu’à l’ivresse
qui les fait tituber en souriant
ils dansent la couleur de l’espoir

Atomique
lorsque mon amour est parti, j’ai trébuché sur le fil
de l’équilibre intérieur
l’unité s’est brisée en morceaux
au lieu de résister, je me suis noyée
la femelle très sexuelle a profité de ce temps pour assurer sa prise
23 ans
d’un amour « simple, évident, sans heurts », m’as-tu dit
23 années
se sont envolées en éclats atomiques
la femelle très sexuelle lui a fait une place dans un bocal familial Le Parfait
mon amour et sa créature se prennent et se jettent
se retrouvent et se quittent
je mange des épinards pour devenir une fille de fer

A coeur
ici, seuls les arbres n’ont pas changé de place
une déménageuse a enlevé l’amour du cœur de l’homme que j’aime
devant les coups durs de la vie, il faisait bloc avec moi, c’était doux et rassurant
la vie me distribue des claques et des coups tranchants, mais il est absent
des déménageurs ont enlevé une partie de l’atelier
je vogue sur un bateau fantôme
je suis une errance intérieure,
une vulnérabilité sans coquille,
un coeur saignant tombé sur le bitume
un coeur mort que je déposerai à tes pieds

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Poétique du ciel
Enfant, je rêvais que je volais comme les oiseaux
c’était éperdument sensuel
Au bout du chemin, si j’oubliais de freiner ?
Les courants d’air me soulèveraient
Et je volerai enfin vers cette espace immense et sans tristesse

Eternité
Notre amour tout simple
a fait un nœud de marin
notre amour si évident
a sombré dans une mer d’incompréhension
notre amour sans heurts
a volé en éclats de verre
notre amour fait d’autant d’années
a arrêté le cours du temps
un grain de femme a sablé jusqu’aux rouages des mots
mais mon désir n’en fait qu’à sa tête
il reste celui d’une continuité
il refuse de mourir assassiné
nous, demain, dans plusieurs mois ou plusieurs années

Absolu
J’avais un trésor : tu étais de mon côté, avec tes batailles, ton sourire, ta tendresse,
ton attention, on faisait bloc
A le tenir trop serré, je l’ai sans doute enfermé, le trésor s’est envolé
La nature est toujours belle, une cocotte se remet à pondre, le temps passe
« Arrête de rêver » me disait-on lorsque j’étais enfant
Juste une façon de refuser de composer avec le monde des adultes
Maintenant, je rêve à tous ces moments de nous
Tu poses ta tête dans mes mains, je m’endors
Le réveil est une déchirure: disparu, l’amour
Je rêve, je colle le morceau d’hier au morceau d’avant-hier, le temps n’a plus de prise ni d’emprise
Plus envie de travailler, je rêve
Plus envie de me lever, laissez-moi rêver
Quelque chose m’empêche absolument de composer avec l’inhumain

Meurtre
tu n’entends plus les cris de mon bonheur déchiré
en voulant te garder, elle m’a tuée
mise en pièces éparses
L’amour finit assassiné

Abîme
Elle t’a cherché, jamais lâché, finalement trouvé
Elle fréquente les cafés-philo
Elle a des mots plein la bouche
Elle fait des beaux discours
Sur l’amour et le désir
Elle vénère Eros
Maintenant, tu nages dans la peur de la perdre

Texte : Caroline Vieuille
Photographies : Donatien Leroy